Attendu par tous, le producer Sofyann Ben Youssef – armé de son projet subsonique Ammar 808 — est de retour en cette rentrée avec Global Control / Invisible Invasion, nouvel album mis en boîte à Chennai, capitale de l’État du Tamil Nadu, dans le Sud de l’Inde. Rencontre.
En 2018, le premier album d’Ammar 808 avait secoué toute la scène Global Bass. Les tracks de Maghreb United avaient alors été playlistés dans toutes les sélections qui comptent, plébiscités dans tous les festivals et salués aux quatres coins de la méditerranée. D’Arabstazy à Acid Arab, tous ont reconnus avoir encaissé — non sans plaisir — la « tarte de l’année ».
Tunisien installé à Bruxelles, Sofyann Ben Youssef – l’homme orchestre embusqué derrière le projet Ammar 808 –, revient à la rentrée avec un second souffle. Global Control / Invisible Invasion, son nouvel album, puise ses racines en Inde. L’homme connaît bien le pays : « à vingt ans, je suis parti à Delhi pour étudier le sitar et le tabla. » En 2019, plein d’envies, le musicien et producer retourne dans le sous-continent. Là-bas, il s’immerge vingt-quatre jours à Chennai, la capitale de l’État du Tamil Nadu, dans le sud du pays. Préparé, sachant exactement ce qu’il venait chercher, Sofyann va alors plonger dans un monde de rythmes, de boucles, de mythologies. Pour PAM, Ammar 808 nous offre quelques extraits de son carnet de voyage musical au cœur de la transe.
Ta passion pour la musique indienne remonte à tes débuts en tant que musicien…
Oui absolument ! En fait la musique indienne, avant que je ne la découvre de l’intérieur, constituait pour moi un véritable mystère. Un mystère que je souhaitais mettre à jour. Et puis, il y plus de vingt ans, Ashraf Sharif Khan, le maître sitariste pakistanais est venu donner un concert en Tunisie. J’étais littéralement émerveillé. Je savais qu’il resterait quelques temps en Tunisie, alors je l’ai contacté. Il m’a donné des cours. Après son départ, j’ai décidé de partir à la source de cette musique, pour me former sur place. J’y ai approfondi le sitar, les tablas, c’était très intense, quatre heures de cours le matin, l’après-midi à jouer avec les autres disciples et le soir, j’assistais à des concerts.
Disciple ?
Oui, tu es adopté comme disciple par un maître au sein d’une école. L’enseignement y est gratuit. C’était justement le sujet de mon mémoire de fin d’étude, les modes de transmission de la musique indienne traditionnelle. Étant moi-même issu d’une culture maghrébine, je n’étais pas si dépaysé. En Inde, les râgas, c’est-à-dire les compétences musicales, sont les mêmes que dans la musique arabe. L’esprit d’improvisation, ses codes, le chemin musical des mélodies, les couleurs ainsi créées sont très proches. Et puis, les embardées de transe indienne, souvent jouées en plein-air, comme dans les musiques arabes, peuvent être très brutales. Attention ça envoie du beat fort !
Là, on parle de musique hindoustanie c’est bien ça ?
Oui, ce premier grand voyage correspond à une initiation à la musique pratiquée en Inde du Nord, au Népal ou au Pakistan. Sachant que l’autre genre majeur de la musique indienne, c’est la musique carnatique, qui concerne l’Inde du Sud. Sous ces deux grandes familles, beaucoup, beaucoup de sous-genres existent.
Pour ce nouvel album d’Ammar 808, c’est à Chennai, capitale de l’État du Tamil Nadu dans l’Inde du Sud, que tu as décidé de partir.
Oui, Global Control / Invisible Invasion, c’est une recherche musicale pour satisfaire ma curiosité envers les finesses musicales sud-indiennes. L’idée générale, si tu veux, c’est de travailler ma musique par chapitre, en traitant à chaque fois d’une région, qui représenterait pour moi, à chaque fois, une aventure différente. Sur Maghreb United, le premier album, j’ai parlé de mes origines, avec toutes les difficultés que peuvent constituer ce genre de prises de recul. Je me suis attaqué à l’identité, à l’union culturelle, aux similitudes, aux différences. Pour l’Inde c’est différent. J’y étais parti à la vingtaine, j’y suis retourné à la quarantaine, quasiment deux décennies plus tard. Mener ce projet en Inde, c’était vraiment une promesse personnelle, que je m’étais faite il y a bien longtemps.
Tu y retournes donc en 2019, plein d’envies…
Oui, plein d’envies. J’avais déjà de l’Inde une connaissance théorique et pratique, ainsi que des aspirations assez précises, sur les voix notamment. Je me suis appuyé sur place sur Paul Jacobs, producteur, bassiste, et énorme connaisseur des musiques indiennes. Tous les enregistrements se sont faits chez lui dans son studio, à Chennai. Paul est un personnage clé du projet, car il a été une véritable interface à mes désirs musicaux.
Ainsi qu’un accélérateur de processus…
Alors que je n’ai été sur place que vingt-quatre jours ! Je lui exprimais ce que je cherchais et il m’amenait les musiciens correspondants. Donc oui, ça a constitué un gain de temps incroyable, dans un pays où les musiciens sont légion ! Paul Jacobs, au-delà de ses compétences musicales, détient un savoir immense, il connaît les histoires, les mythologies derrière les traditions musicales qui s’expriment en Inde. J’ai également profité de ces semaines en Inde pour prendre des cours de thavil, c’était très intense ! En fait, il ne s’est pas passé un jour sans qu’il ne se passe quelque chose. Pour moi, la musique du sud de l’Inde sonne très africaine finalement. Ça me passionne. Il y a un côté très terrien, très feu, qui m’a toujours beaucoup attiré. Cette exploration est moins simple dans le nord, où la musique est plus aérienne. Et puis, le côté architectural, très complexe, des rythmiques indiennes me fascine à mort ! C’est ensuite au sein de l’entité Ammar 808 que je m’efforce de traduire toute cette matière pour le dancefloor.
À quoi font référence les termes Global Control et Invisible Invasion, qui titrent ton album ?
Autant avec Maghreb United je me suis attaqué à quelque chose d’originel, autant avec ce nouveau projet je me suis frotté à des concepts plus intemporels. Je voulais lier la mythologie indienne à la dystopie numérique que l’on vit actuellement. Par Invisible Invasion, j’évoque cette guerre invisible, ce conflit éternel qui nous aveugle et dont nous sommes tous victimes finalement. Du système monétaire à la religion en passant par la peur du covid qu’on instrumentalise aujourd’hui comme une arme… Pour moi toutes ces formes de craintes nous renvoient au concept d’Invisible Invasion. Dans la mythologie indienne, ces peurs sont incarnées par des représentations divines. Intéressant, ce système religieux qui permets d’incarner le mal, je trouve que c’est une forme d’organisation spirituelle qui permet de mieux explorer, de mieux comprendre.
Retrouvez Ammar 808 dans notre playlist afro + club sur Spotify et Deezer.
Ammar 808, Global Control / Invisible Invasion, disponible le 18 septembre 2020 chez Glitterbeat Records.